lundi 12 février 2018

Le Pavillon du Liban et de la Syrie... Expo 1931 Paris, Vincennes...

Entrée du pavillon du Liban et de la Syrie. Photo amateur.

Ici, tout le charme, tout le mystère, toute la langueur, tout l'héroïsme du Proche-Orient méditerranéen sont enclos. Ici, nous allons évoquer les dieux de l'antiquité, les personnages des Mille et une Nuits, les croisés, leurs petits-fils de 1860, qui, aux accents de la chanson de la reine Hortense : « Partant pour la Syrie, le jeune et beau Dunois ... », franchirent la mer bénigne pour se porter au secours du Chrétien molesté par le Druse - et aussi, hélas! telles pages douloureuses d'une récente histoire.

Ce patio rectangulaire à arcades, ce patio limité par des murs faits de grès rouges et blancs alternés, ce patio au centre duquel s'érige une vasque, où l'eau jaillit, retombe; chante, murmure, et qui, sur l'un de ses petits côtés, offre une loggia finement ouvragée, je le connais.


C'est celui du palais Azem, à Damas, celui de la résidence des émirs libanais, à Beit-ed-Dine, celui du grand caravansérail d'Alep. En réalité, il constitue une synthèse de l'art arabe, tel qu'il refleurit, au XIIIe siècle, sur la vieille terre d'Adonis, le jeune homme adoré des vierges de Syrie.

Art à la fois charmant, raffiné et robuste, bien adapté à une époque voluptueuse, incertaine, violente et cruelle, où le grand seigneur, à l'abri de ses murailles, dont chaque ouverture était défendue par de solides barreaux de fer, se livrait à ses plaisirs, tramait ses intrigues, ourdissait ses complots,  assouvissait ses vengeances dans le sang, se grisait, dans le même instant, de la plainte des suppliciés, du sanglot des fontaines, du roucoulement des colombes, des cadences langoureuses des belles élues...

Mais ne va pas croire, ayant franchi ce seuil, que ces fontaines sont seulement des musiciennes. Si elles s'érigent ici, c'est pour dispenser la bienfaisance de leurs eaux au voyageur qui vient de traverser le désert, à l'hôte dont la gorge se contracte, dont les mains, le visage, portent la trace des baisers brûlants d'un vent cruel, inexorable. Et comprends, dès lors, la signification du geste de l'Oriental qui, t'accueillant dans sa demeure, t’offre, avant toutes choses, le frais cristal liquide des sources.

Cour intérieure.

Et sois habité par un grand respect, car c'est un voyage en pays fabuleux que tu vas faire. Ce Liban, cette Syrie à quoi il sied, historiquement, d'agréger la Palestine et qui représentent quelques-unes de leurs images, sont régions à la fois bénies et maudites, régions de très vieille civilisation, dont le sol est à ce point farci de souvenirs, de vestiges, qu'on ne saurait le fouler sans être pris du désir ardent de le fouiller, de lui demander les secrets qu'il recèle. Et quels souvenirs! Regarde ce sarcophage. C'est celui d'Ahiram, qui, deux mille ans avant Jésus-Christ, régnait sur Byblos. Cette image est celle du prince assyrien Eshmounazaz. Et songe que nos savants ont récemment découvert, aux lieux dont ces ancêtres étaient maîtres, des tablettes gravées attestant que telles sciences, dont nous sommes si vains, étaient familières aux gens de Syrie, alors que nous n'étions que barbares. Et enfin, et enfin: après avoir donné naissance à tant de dieux, fourni des empereurs à Rome, cette terre n 'est-elle pas le berceau du judaïsme, du christianisme et de l'islam? N'est-ce pas ici que les sombres, les terribles prophètes de l'Ancien Testament lancèrent leurs lamentations, leurs anathèmes, que le Fils du huchier de Nazareth prononça ces paraboles séditieuses qui le devaient conduire au supplice, qu'un chamelier écrivit ce Coran qui devait devenir, pour des millions d'hommes, une charte, un code, un poème, un livre de prières ?

Visite de Paul Reynaud, ministre des colonies.

En vérité, ce pays est trop riche d'histoire profane et sacrée, de légendes, d'épopées; trop de peuples s'y sont succédé, trop de civilisations s'y sont superposées, pour qu'il ne donne pas une impression de chaos et qu'on y puisse classer ses idées. Comment la pensée ne vacillerait-elle point à qui l'on propose de bondir à travers les siècles, depuis l'époque des Croisades, rappelées par ce panneau mural représentant le krak des chevaliers, spécimen grandiose, impérissable, de l'architecture militaire française au moyen âge, à l'époque où les légions gauloises allèrent, ainsi que le rappelle cette inscription, jusqu'à Soueida la Noire, actuelle capitale du Djebel D ruse, et à celle où Antonin le Pieux, puis Caracalla consacrèrent « à tous les dieux d'Héliopolis » ces temples dont on ne voit plus, à Baalbeck, que les ruines, dont Loti a écrit :

« Auprès de telles choses, toutes les constructions dont nous sommes orgueilleux, nos palais, nos forteresses, nos cathédrales, semblent des œuvres mesquines et passagères, faites de miettes assemblées.

« Devant ces travaux de Titans, on est oppressé par la conscience de son infinie petitesse, par le sentiment de l'impuissance où seraient les hommes de ce siècle non seulement à rien produire de pareil, mais même à rien réparer, à rien relever de ce chaos de décombres trop lourds; toutes ces pierres de proportions si immenses qu'on ne comprend ni comment les hommes ont pu les créer, ni comment, après, le temps a pu les détruire.» Mais on entend bien que ce n'est pas seulement le passé qui revit ici. Ce pavillon n'est pas qu'un musée d'objets anciens, d'images évocatrices des temps abolis. Chacun des Etats du Levant placés sous le mandat français, expose ce qui est le plus représentatif de sa physionomie présente.

Le Liban montre ses côtes découpées, ses montagnes parées, le printemps venu, d 'une prodigieuse floraison de cyclamens et d'anémones ; les Allaouites, leurs fileurs, leurs tisserands; Damas, un salon aux boiseries anciennes, émaillées, dorées, laquées, décorées de fleurs et de sentences coraniques: un salon tel que ceux dont les émirs résidant dans les palais enchantés construits sur les rives du Barada, fleuve d'or des Grecs, l'Abana de l'Ancien Testament, vous font les honneurs avec une indicible fierté.
Et voici le sombre, le sauvage Djebel Druse, le Basan des Hébreux, patrie des terribles guerriers aux mains tatouées, aux longs cheveux flottant sur les épaules, aux joues fardées, aux paupières bleuies, qui, voici quelques années, étaient nos implacables ennemis et nous tinrent si longtemps en échec.
Que pouvait-il montrer de plus caractéristique que cette médafe, cette salle des hôtes, qui, dans chaque ville, chaque village, si humble soit-il, s'ouvre à tout venant, à l'inconnu, à l'ami, voire à l'ennemi, lequel, dès qu'il a franchi le seuil, devient sacré - ainsi l'exigent les plus anciennes traditions - a droit au repos sur les coussins du divan régnant tout autour de la pièce et aux attentions des notables, qui, de leurs mains, lui viennent offrir l'eau fraîche, le café, le tabac « et la nourriture en temps opportun » ?

Et c'est ainsi qu'apparaissent à nos regards ces pays au passé prestigieux, détachés, par les traités, de l'ancien Empire ottoman, et sur lesquels nous avons reçu mission de veiller, jusqu'au jour où, les rivalités locales étant apaisées, où l'ordre, la sécurité régnant de la côte au désert et de la frontière turque à la palestinienne, ils pourront se gouverner eux-mêmes.


Miroir du Monde. PIERRE LA MAZIÈRE.

Beyrouth, par Jean Marchand. Fragment d'un panneau décoratif figurant dans le pavillon du Liban.

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